Nous étions en 1960[1] je crois.
J’avais dix ans.
Nous habitions Lkhmiçaate,[2] et mon père avait décidé de nous envoyer passer des vacances d’été à Ifraane,[3] avec une halte chez la famille de l’un de ses amis à Lhaajb.[4]
Mon père avait chargé quelqu’un de nous y emmener en camion, parce que nous devions prendre beaucoup d’affaires.
Ma belle-mère nous accompagnait[5] et avait aménagé une partie à l’arrière du camion comme une pièce de la maison, avec tapis et coussins.
C’était plaisant.
Nous étions arrivés en début de soirée chez l’ami de mon père, passé du statut d’agent subalterne au temps du colonialisme français au Mghrib,[6] à celui de « cadre » du ministère de l’intérieur,[7] avec « l’indépendance dans l’interdépendance ».[8]
Mon père qui avait connu la même « ascension » était à l’époque magistrat du parquet.
Son ami occupait, comme nous, une maison autrefois réservée aux familles de France, dans le quartier « administratif ».
Il avait plusieurs enfants, comme mon père.
Nous avions commencé tout de suite à jouer, laissant les grandes personnes à leurs discussions.
Une table était déjà dressée pour le dîner au bord de la piscine.[9]
Ils échangeaient entre eux soit en tamaziighte, soit en français.
Et s’adressaient à nous en arabe.[10]
Avant le dîner, deux des enfants nous avaient fait une démonstration de natation, et nous avions été autorisés ensuite à barboter dans l’eau.[11]
C’est à cette époque que j’ai connu une des filles de cette famille, plus âgée que moi.
Quelques années plus tard, elle est devenue infirmière, comme l’une de mes sœurs avec laquelle elle est toujours amie.
Il m’arrivait de la revoir de temps à autre, et de constater qu’elle a gardé le goût de s’exprimer en berbère et en français.
Jeune, elle renvoyait l’image d’une fille assez « délurée ».
Plus âgée, elle s’était accrochée à celle de la femelle « libérée ».[12]
Nous avions de moins en moins de nouvelles.
Son père et le mien ont quitté l’existence ici-bas.
Dernièrement, toute excitée, ma sœur m’a téléphoné pour me faire savoir qu’elles se sont rencontrées, après de longues années sans se voir, et que son amie lui a lancé en français :
─ Tu sais, j’ai hjji.[13]
J’ai été très ému.
J’avais l’impression d’entendre sa voix, son élocution rapide, sa manière de jongler avec des mots berbères, français, arabes et de construire une phrase à elle.
Mais j’étais loin d’imaginer qu’un jour, elle allait apparaître et annoncer :
─ Tu sais, j’ai hjji.
Flots de pensées.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
Qu’Allaah la couvre de Sa Miséricorde,[14] nous éclaire et nous guide.[15]
BOUAZZA
J’avais dix ans.
Nous habitions Lkhmiçaate,[2] et mon père avait décidé de nous envoyer passer des vacances d’été à Ifraane,[3] avec une halte chez la famille de l’un de ses amis à Lhaajb.[4]
Mon père avait chargé quelqu’un de nous y emmener en camion, parce que nous devions prendre beaucoup d’affaires.
Ma belle-mère nous accompagnait[5] et avait aménagé une partie à l’arrière du camion comme une pièce de la maison, avec tapis et coussins.
C’était plaisant.
Nous étions arrivés en début de soirée chez l’ami de mon père, passé du statut d’agent subalterne au temps du colonialisme français au Mghrib,[6] à celui de « cadre » du ministère de l’intérieur,[7] avec « l’indépendance dans l’interdépendance ».[8]
Mon père qui avait connu la même « ascension » était à l’époque magistrat du parquet.
Son ami occupait, comme nous, une maison autrefois réservée aux familles de France, dans le quartier « administratif ».
Il avait plusieurs enfants, comme mon père.
Nous avions commencé tout de suite à jouer, laissant les grandes personnes à leurs discussions.
Une table était déjà dressée pour le dîner au bord de la piscine.[9]
Ils échangeaient entre eux soit en tamaziighte, soit en français.
Et s’adressaient à nous en arabe.[10]
Avant le dîner, deux des enfants nous avaient fait une démonstration de natation, et nous avions été autorisés ensuite à barboter dans l’eau.[11]
C’est à cette époque que j’ai connu une des filles de cette famille, plus âgée que moi.
Quelques années plus tard, elle est devenue infirmière, comme l’une de mes sœurs avec laquelle elle est toujours amie.
Il m’arrivait de la revoir de temps à autre, et de constater qu’elle a gardé le goût de s’exprimer en berbère et en français.
Jeune, elle renvoyait l’image d’une fille assez « délurée ».
Plus âgée, elle s’était accrochée à celle de la femelle « libérée ».[12]
Nous avions de moins en moins de nouvelles.
Son père et le mien ont quitté l’existence ici-bas.
Dernièrement, toute excitée, ma sœur m’a téléphoné pour me faire savoir qu’elles se sont rencontrées, après de longues années sans se voir, et que son amie lui a lancé en français :
─ Tu sais, j’ai hjji.[13]
J’ai été très ému.
J’avais l’impression d’entendre sa voix, son élocution rapide, sa manière de jongler avec des mots berbères, français, arabes et de construire une phrase à elle.
Mais j’étais loin d’imaginer qu’un jour, elle allait apparaître et annoncer :
─ Tu sais, j’ai hjji.
Flots de pensées.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
Qu’Allaah la couvre de Sa Miséricorde,[14] nous éclaire et nous guide.[15]
BOUAZZA
[1] Selon le calendrier dit Grégorien.
[2] Khémisset.
[3] Le "r" roulé, Ifrane.
C’est une petite ville située au Moyen-Atlas, à plus de 1600 mètres d’altitude, dans un massif forestier (cèdres).
Le colonialisme français en a fait un lieu de sports d’hiver et un centre d’estivage.
[4] Elhajeb, au Sud-Est de Lkhmiçaate.
[5] Mais pas mon père.
[6] Le "r" roulé, Maroc.
[7] Qaaïd, caïd.
[8] Qui se traduit, entre autres, par la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des employeurs (des États dominants).
[9] La maison qui ressemblait à celle que nous occupions avait la piscine en plus.
[10] Contrairement à la première épouse et à ma mère (la deuxième épouse) divorcées, qui parlaient tamziighte, ma belle-mère (la troisième épouse) ne le parlait pas et par voie de conséquence, cette langue n’était plus utilisée à la maison, et c’est pourquoi en ce qui me concerne par exemple, je l’ai perdu presque totalement perdu.
[11] Nous ne savions pas encore nager.
[12] Est-ce pour cela qu’elle ne s’est jamais mariée ?
[13] Du verbe arabe hajja, qui signifie accomplir le pèlerinage (alhajj, lhjj).
Alhajj est une obligation pour les croyants et les croyantes (almouminoune wa almouminaate) qui le peuvent.
L’amie de ma sœur était heureuse de lui annoncer qu’elle avait accompli cette obligation.
[14] Allaah ne pardonne pas qu’on Lui donne quelque associé et pardonne le reste à qui Il veut.
Alqoraane (Le Coran), sourate 4 (chapitre 4), Anniçaa-e, Les Femmes, aayate 48 (verset 48).
Allaah ne pardonne pas achchirk.
[15] Voir :
http://raho.over-blog.com/
http://paruredelapiete.blogspot.com/
http://ici-bas-et-au-dela.blogspot.com/
http://laroutedelafoi.blogspot.com/
[2] Khémisset.
[3] Le "r" roulé, Ifrane.
C’est une petite ville située au Moyen-Atlas, à plus de 1600 mètres d’altitude, dans un massif forestier (cèdres).
Le colonialisme français en a fait un lieu de sports d’hiver et un centre d’estivage.
[4] Elhajeb, au Sud-Est de Lkhmiçaate.
[5] Mais pas mon père.
[6] Le "r" roulé, Maroc.
[7] Qaaïd, caïd.
[8] Qui se traduit, entre autres, par la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des employeurs (des États dominants).
[9] La maison qui ressemblait à celle que nous occupions avait la piscine en plus.
[10] Contrairement à la première épouse et à ma mère (la deuxième épouse) divorcées, qui parlaient tamziighte, ma belle-mère (la troisième épouse) ne le parlait pas et par voie de conséquence, cette langue n’était plus utilisée à la maison, et c’est pourquoi en ce qui me concerne par exemple, je l’ai perdu presque totalement perdu.
[11] Nous ne savions pas encore nager.
[12] Est-ce pour cela qu’elle ne s’est jamais mariée ?
[13] Du verbe arabe hajja, qui signifie accomplir le pèlerinage (alhajj, lhjj).
Alhajj est une obligation pour les croyants et les croyantes (almouminoune wa almouminaate) qui le peuvent.
L’amie de ma sœur était heureuse de lui annoncer qu’elle avait accompli cette obligation.
[14] Allaah ne pardonne pas qu’on Lui donne quelque associé et pardonne le reste à qui Il veut.
Alqoraane (Le Coran), sourate 4 (chapitre 4), Anniçaa-e, Les Femmes, aayate 48 (verset 48).
Allaah ne pardonne pas achchirk.
[15] Voir :
http://raho.over-blog.com/
http://paruredelapiete.blogspot.com/
http://ici-bas-et-au-dela.blogspot.com/
http://laroutedelafoi.blogspot.com/
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