mercredi 2 février 2011

LA MER



Au loin, des bateaux de plaisance semblent toucher l’horizon que rencontre la mer.
Je ramène mon regard sur des mouettes qui se baignent non loin d’autres qui se chauffent au soleil sur la plage.
M’est-il déjà arrivé de voir deux mouettes qui s’enlacent en l’air ?
Je suis attentif.
Je ne veux rien perdre de ce qui m’est offert.
J’écoute les vagues.
Flux et reflux.
« Une autre vague vient par-dessus la première et fulgure. Etincelle et ruisselle d’une vie nouvelle. Sans nombre, débordant par-delà les rives du temps, de l’éternité à l’éternité d’autres vagues naissent et meurent, se couvrant et se renouvelant, ajoutant leur vie à la vie. D’aussi loin qu’on les entende, toutes ont la même voix, répètent le même mot : paix, paix, paix … »[1]
Albahr[2] alabyad almoutawassite.
La mer blanche intermédiaire.
La mer Méditerranée.
Au Maroc,[3] lorsque j’étais jeune, beaucoup de médecins considéraient que certains de mes problèmes de santé provenaient de l’asthme[4] dû à une allergie au climat du littoral, et conseillaient de m’éloigner de la mer.
C’est ainsi que je suis venu en France[5] pour des études universitaires que je ne pouvais pas suivre à Rabat.[6]
En France, je n’hésite pas à retrouver la mer lorsque l’occasion se présente.
En arrivant pendant la dernière semaine du mois de janvier 2011[7] au Sud-Est, sur la côte d’Azur, j’ai tout de suite été touché par cette profonde harmonie que procure la rencontre de la mer et du ciel, rencontre qui fait jaillir des images, des couleurs, des mouvements.
Des mots clairsemés s’associent, des souvenirs s’assemblent, des pensées se rassemblent.[8]
J’ai ramassé un galet comme je le faisais souvent en retrouvant la mer.
J’en ai ramené des dizaines d’Italie, de Bordighera en Ligurie[9] où j’ai séjourné plusieurs fois.
Mon épouse, fille d’un Italien venu à l’adolescence travailler sur les chantiers du bâtiment en France, a ramassé une petite pierre pour la beauté de ses couleurs.[10]
Plus avant, une femme offrait du pain aux mouettes, aux pigeons et aux moineaux dont l’observation peut nous retenir de longs moments.
Quelques jours plus tard, nous avons donné aussi à manger à ces oiseaux.
Lors de marches,[11] et aussi dans l’autocar emprunté pour découvrir les alentours, j’ai pu admirer les rochers de la couleur du massif de l’Estérel.
Une couleur rougeâtre, flamboyante sous le bleu du ciel et les rayons du soleil.
J’ai retrouvé partout une magnifique végétation : des palmiers, des pins, des cyprès, des mimosas se préparant à répandre l’éclat de la floraison, des eucalyptus et beaucoup d’autres plantes.
J’ai pensé à un moment de mon enfance à la maison de Khémisset :[12]
La maison de fonction que nous occupions[13] était dans le « quartier administratif », un peu en retrait par rapport au reste de l’agglomération.[14]
Avant « l’indépendance dans l’interdépendance »,[15] les maisons de ce quartier étaient occupées par des familles de France.
Cette maison était entourée d’un jardin avec des géraniums, des bougainvillées, des mimosas et autres.
Il y avait aussi deux grands palmiers qui donnaient de petites dattes.[16]
[…] Entre la buanderie et le garage, une grande pièce qui donnait sur le jardin, avait aussi une porte qui s’ouvrait sur l’extérieur et permettait d’accéder presque immédiatement à un magnifique champ avec de superbes eucalyptus et une fabuleuse piste qu’empruntaient parfois de splendides chevaux.[17]
À l’office du tourisme, j’ai récupéré des cartes postales gratuites de publicité que j’ai envoyées.
Depuis un certain temps, j’ai pris l’habitude de me rendre dans ce genre d’endroit, juste pour me servir en cartes postales gratuites que j’adresse en priorité à nos deux fils.[18]
Est-ce ainsi que s’instituent les « traditions » ?
La mer, ce Bienfait d’Allaah qui s’ajoute aux innombrables autres Bienfaits dont Il me comble, est un pétillement intime, un ravissement, un bonheur pour lesquels j’invoque Sa Miséricorde afin qu’Il agrée ma reconnaissance.[19]



BOUAZZA



[1] Driss Chraïbi, La Civilisation ma Mère !..., Paris, Editions Denoël, 1972, p. 14.
[2] Le "r" roulé.
[3] Maghrib (le "r" roulé).
[4] Dans un texte romancé, je parle beaucoup d’Amalou et de Taghbaloute, une de ses sœurs plus jeune que lui.
Taghbaloute représente en fait ma sœur qui était plus âgée, décédée l’année où j’ai quitté le Maroc pour des études universitaires en France.
Amalou c’est donc moi, séparé de ma mère, la femme du deuxième mariage de notre père (comme ma grande sœur l’a été de sa mère, la femme du premier mariage), et mis à l’internat dans un lieu qui n’est pas au bord du littoral, peu de temps après la scolarisation.
Dans ce texte, j’écris :
La nuit, dans le silence du dortoir, Amalou ne trouve pas le sommeil. Sa tête est pleine de vacarme. Il pense à Taghbaloute, à la mère et sent plein de nœuds dans son cœur. Le matin, il n’est pas allé en classe. Il est malade. "Des problèmes respiratoires, des crises d’asthme", dit souvent le docteur Cohen dans des moments pareils.
Texte intitulé "Ainsi parle un Musulman de France né au Maroc", daté de 1992, p.30.
[5] Franeçaa (le "r"roulé).
[6] Ribaate, Rbaate (le "r" roulé).
Ville à très fort taux d’humidité, au bord de l’Océan Atlantique (Almouhiite Alatlaçiyy).
À l’époque au Maroc, il n’y avait que cette ville pour mes études universitaires.
[7] Selon le calendrier dit Grégorien.
[8] Se reporter à mon texte intitulé "Interactions".
[9] Sur Bordighera, dans un texte intitulé "Primavera", j’ai écrit en donnant la parole à un mineur délinquant incarcéré :
Albahr Alabyad Almoutawassite. La Mer Blanche Intermédiaire. La Mer Méditerranée.
Il connaît bien.
Ils se fréquentent depuis longtemps.
Ici et ailleurs.
Ils viennent de passer une semaine ensemble.
En Italie.
À Bordighera.
La côte des fleurs.
La riviera dei fiori.
La terre des couleurs.
La terra dei colori.
Ligurie.
Liguria.
Je suis là-bas, et je me régale.
Quand il s’exprime, je vois les mots qui l’aident à s’adresser à moi, à partager de ce qu’il y a en lui et qui remonte à l’aube de la Vie.
Les mots qu’il emploie, je peux les toucher, les garder à mes côtés, leur demander de m’accompagner.
Ils me connaissent.
Nous nous sommes mis à discuter de Bordighera, la ville lumineuse où les palmiers se plaisent.
Des orangers, des citronniers, des bananiers, des mimosas et surtout des oliviers tiennent compagnie aux palmiers.
Des merveilles dont les murmures d’Amour embaument l’air et rendent la mer encore plus parfumée.
Je suis incarcéré, il parle du parfum de la mer et je sens ce parfum sur ma peau, il parle de l’huile d’olive de la Ligurie, de la gastronomie et les odeurs des mets les plus succulents se répandent partout.
En retrouvant son air de conteur (hérité de ses ancêtres, pas les Gaulois, ni les Romains, les autres), il m’offre une recette de cuisine Ligurienne adaptée par ses soins : Il ragû di coniglio colle olive (le tajine de lapin aux olives).
Tout cela aiguise en moi une sérieuse envie d’épouser une Italienne.
Je lui en parle, il ne me désapprouve pas, me rappelle un peu le sens du mariage et me précise que la femme est une parure pour l’époux et que l’homme est une parure pour l’épouse.
Ça vous dit quelque chose ?
Il me souhaite une union bénie et se met à me parler de l’arbre béni, l’olivier, qui n’est ni d’Orient, ni d’Occident.
Il enchaîne sur l’Italienne qui sera mon épouse en l’imaginant aussi délicieuse, aussi pulpeuse, aussi juteuse que l’olive de la Ligurie, cette olive célèbre per il suo olio extra vergine, pour son huile extra-vierge, encore plus vierge que vierge.
En partant, il m’a laissé une feuille manuscrite :
"La mer et le ciel se rejoignent, font jaillir des images, des couleurs, des formes, des mouvements, une vision AUTRE.
J’apprends à voir avec les yeux du cœur.
Je suis plein de Reconnaissance pour cette coulée de Paix, ce ruissellement d’Amour, cette infinité de Bienfaits qui me sont Généreusement offerts.
Je chemine depuis l’aube de la Vie pour approfondir le Sens et le Lien".
[10] Elle est très sensible aux couleurs.
[11] Dans un texte intitulé "La marche", j’ai écrit que d’innombrables choses ont été dites, se disent et continueront à se dire sur la marche.
Certains parlent d’efficacité, de performance, de temps à compter, d’espace à mesurer, et mettent en relief la notion d’exploit et des choses de ce genre.
D’autres, plus centrés sur leur ego, cherchent à satisfaire le désir d’être remarqués et à assouvir la soif de paraître. Ils se veulent admirables et ont souvent recours à n’importe quoi pour nourrir le besoin, pratiquement pathologique, d’être admirés. Et lorsqu’ils pensent que la marche peut servir à ce qu’ils soient vus, alors ils marchent, histoire d’entretenir le nombrilisme.
Les approches au sujet de la marche changent donc selon les préoccupations, les interrogations, les orientations, les intérêts et les objectifs de chacun et de chacune.
Pour les croyants et les croyantes, la marche n’est pas en dehors de la Route de la Foi.
[12] Lkhmiçaate.
[13] Un peu avant la rentrée scolaire 1959-1960 je crois, selon le calendrier dit Grégorien.
[14] Se reporter à mes textes intitulés "Enfance", "Le rêve","Le père de Mjidou" et "Le serviteur du Doux".
[15] Se reporter à mon texte qui porte ce titre.
[16] Ablouh.
[17] Se reporter à mes textes intitulés « Ainsi parle un Musulman de France né au Maroc », daté de 1992 et "Khalti Hadda".
[18] Être père est un bonheur qu’Allaah, dans Son Infinie Générosité, m’a destiné avant même que je ne sois ici-bas.
Je Lui suis reconnaissant et l’invoque pour qu’Il nous couvre de Son Amour.
Se reporter à mon texte intitulé "Filiation".
[19] Voir :
http://raho.over-blog.com/
http://paruredelapiete.blogspot.com/
http://ici-bas-et-au-dela.blogspot.com/
http://laroutedelafoi.blogspot.com/

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